Monsieur Saint Laurent, les femmes vous disent merci
Il y a de grands hommes, et il y a des génies. Retour sur l'histoire de Monsieur Saint Laurent, l'homme qui a libéré les femmes.
Écrit par Juliette Gour le
C'est étrange comme, parfois, il y a des personnalités qui marquent une vie. Je me souviens exactement du jour où ma mère - amoureuse de la mode - m'a annoncé que Saint Laurent était mort. Je revois sur la table du salon tous les magazines en hommage au grand maître, que j'ai religieusement feuilleté pour essayer de comprendre pourquoi cet homme était un génie.
Évidemment, le génie ne s'explique pas et, dans le cas de Saint Laurent, il s'admire. De Marrakech au MET en passant par Paris, le monde entier peut juger la délicatesse du travail du couturier. Et lorsque l'on a de la chance, on arrive même à s'offrir quelques pièces vintage en maison de vente... En réalité, Saint Laurent fait peut-être partie de la vie de toutes les femmes, pas tant pour ses pièces (quoique), mais plus pour tous les codes qu'il a créé.
En un sens, si l'on s'habille comme on le fait aujourd'hui, c'est un peu grâce à lui car, si Coco (Chanel) a libéré les femmes du corset, Saint Laurent les a libérés des codes de la féminité "d'avant".
"Chanel a donné la liberté aux femmes. Yves Saint Laurent leur a donné le pouvoir". - Pierre Bergé
Bergé - compagnon et Pygmalion du génie le disait lui-même : Saint Laurent a changé les codes, pour la liberté des femmes.
La mode n'étant que le reflet d'une époque, Saint Laurent, c'est la rébellion féminine des années 70. À travers le vêtement, il a permis aux femmes de se construire une identité. Il a créé une attitude et mis en lumière toutes les beautés... La liste est infinie.
Plutôt que de louer les collections du maître, il est temps de s'intéresser à toutes ces choses que Monsieur Yves Mathieu de Saint Laurent a faites pour nous.
Saint Laurent, un génie né ?
Lorsque l'on se penche dans l'histoire du prodige, on se rend rapidement compte que sa vie a été rythmée par les Femmes. D'abord sa mère, Lucienne Mathieu de Saint Laurent, mais aussi sa grand-mère et ses deux sœurs. C'est peut-être ça, le secret finalement : pour bien habiller les femmes, il faut grandir avec elles. Saint Laurent se rappelait toujours ému de sa mère, sa première muse, en train de s'habiller. C'est elle qui, sans le savoir, va lui donner le goût du vêtement.
Il grandira dans du taffetas et commencer à faire des collections de papier. Lorsqu'il arrive à Paris en 1953, il participe au concours annuel du Secrétariat International de la Laine et tape dans l'œil de Givenchy et Dior - jury de l'édition. Il remporte le troisième prix dans la catégorie robe et déjà, on voit les fondements du style Saint Laurent : la taille est délicatement marquée, le haut du buste magnifié, la féminité exacerbée.
Il entre chez Dior en 1955 et lui succédera à sa mort en 57. Sa première collection - Trapèze - est un succès. Pourquoi ? Parce qu'il réinvente les formes, renouvelle les codes de la maison Dior et offre aux clientes une vision plus moderne de l'élégance.
Janie Samet, journaliste et papesse de la couture, le baptisera " LePetit Prince de la mode" suite à cette collection.
En 1962, il monte sa propre maison de couture et 7 ans après, il est adoubé par Coco Chanel en personne, qui le désigne comme son héritier : "il faudra bien qu'un jour quelqu'un me continue" disait-elle. C'est une reconnaissance symbolique pour le jeune Yves ; elle qui a tant œuvré pour libérer le corps des femmes a trouvé un couturier digne de reprendre le flambeau.
Cette mission, presque divine, sera évidemment honorée par le maître (qui à l'époque n'en était pas encore un).
1966, le scandale du smoking Saint Laurent
Son premier coup de pied dans la fourmilière est peut-être celui du smoking. On ne se rend pas compte aujourd'hui d'à quel point c'était audacieux de féminiser une veste de fumoir. L'adapter au corps d'une femme est le summum de la provocation pour la presse et les clientes. D'abord boudé, il est ensuite adopté pour devenir un classique de la maison et sera sans cesse réinventé collections après collections.
Ce qui a plu aux élégantes, c'est évidemment la liberté de mouvement qu'offre la tenue. Sobre, il joue sur les frontières du genre et rend sexy toutes les femmes qui osent le porter.
Puiser dans le vestiaire masculin, la marque de fabrique de YSL
Après ce coup d'éclat, Saint Laurent n'aura de cesse de piocher dans le vestiaire masculin : Saharienne, caban, veste de pêcheur... Il s'amuse à mélanger les genres, créant une universalité dans la mode.
En réadaptant le vêtement féminin, il offre une toute nouvelle perspective aux femmes, les poussant à aller fouiller dans le vestiaire de leur mari pour s'habiller. Plus qu'une silhouette, c'est une liberté nouvelle qui est proposée aux clientes, qui n'ont plus besoin de répondre aux codes de la féminité pour être bien habillées.
L'esprit Saint Laurent porté par des muses éternelles
On ne peut évidemment pas parler de Saint Laurent sans parler des muses : Laetitia Casta, Catherine Deneuve, Paloma Picasso, Betty Catroux, Zizi Jeanmaire, Victoire Doutreleau... Des femmes uniques, non conventionnelles, qui proposent une autre vision de la beauté.
En fait, il a compris très tôt qu'il n'y avait pas qu'une seule forme de corps, qu'une seule couleur de peau ou qu'un seul type de visage.
Cette curiosité pour l'autre s'est d'ailleurs toujours ressentie dans les collections : Russie, Afrique, Asie... Il est allé puiser son inspiration partout (à une époque où l'on ne parlait pas encore d'appropriation culturelle) pour rendre hommage à toutes ces cultures. Du jour au lendemain, les Parisiennes se sont muées tantôt en princesse russe, tantôt en statue malienne. Après avoir brisé les frontières entre les genres, il brise celles qui subsistaient entre les cultures.
La beauté des ethnies jusque sur les podiums
L'autre grande révolution de Monsieur Saint Laurent, c'est d'avoir été le premier à ouvrir les portes du mannequina aux femmes de couleur. Sans lui, Katoucha Niane, Mounia Oroseman ou encore Amalia Vairelli n'auraient peut-être pas eu le même destin.
Il changera aussi le destin de Naomi Campbell qui, en 1988, se voit refuser la couverture de Vogue Paris. Yves Saint Laurent en aura vent et fera pression sur le magazine - menaçant de retirer toutes les publicités si Naomi ne fait pas la couverture. Il aura évidemment gain de cause et la mannequin anglaise sera la seconde femme noire de l'histoir du magazine à en faire la couverture.
L'héritage Yves Saint Laurent
Aujourd'hui, difficile de porter un blazer ou un pantalon à pince sans penser au maître. Difficile de fumer une cigarette en terrasse parisienne sans s'imaginer muse du couturier. Impossible de ne pas être ému devant les archives de la maison, religieusement exposées au Musée Yves Saint Laurent de Paris (ou de Marrakech).
Saint Laurent était un couturier en avance sur son temps, qui avait compris que ce que les femmes recherchaient avant tout, c'était la liberté : de leurs droits évidemment (surtout dans les années 70) mais surtout dans leurs mouvements.
Lorsqu'on y pense, c'est peut-être l'un des hommes qui a le plus aimé les femmes et qui a travaillé toute sa vie pour les magnifier.
"Mon rêve est de donner aux femmes les bases d'une garde robe classique qui, échappant à la mode de l'instant, leur permette une plus grande confiance en elles-mêmes. À travers ces vêtements, j'espère les rendre plus heureuses." - Yves Saint Laurent
Pari réussi.
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