Qui est Tracey Norman, la première mannequin trans noire de l’histoire ?
À une époque où la diversité et l’inclusion peinent encore à s’imposer dans l’industrie de la mode, Tracey Norman a marqué l’histoire en silence. Elle est la première mannequin transgenre noire à percer dans les années 70. Portrait d’une véritable figure de résilience.
Écrit par Alice Legrand le
Vous ne connaissez peut-être pas Tracey Norman, pourtant, elle est reconnue comme étant la première mannequin transgenre et noire. Déjà qu’en 2024, la diversité et l’inclusion ne courent pas les podiums, dans les années 70, c'était encore autre chose. Certes, le mouvement drag émergeait et la culture des ballroom avec, mais c’était tellement nouveau et en décalage avec les normes établies qu’il est difficile de s’imaginer le quotidien de ces femmes à l'époque.
Aujourd’hui âgée de 71 ans, celle qui se fait également appeler Tracey "Africa" Norman a marqué l’histoire à sa façon en prouvant au monde que l’on peut être mannequin trans noire et percer dans cet univers impitoyable. La révélation de son secret - son identité - a failli faire voler en éclats sa carrière très encourageante. Pourtant inconnue du grand public, elle est aujourd’hui devenue une véritable icône pour la communauté queer.
Tracey Norman : un rêve de mannequinat aux débuts prometteurs
Née dans le New Jersey, à Newark, en 1951, Tracey Norman grandit dans une société encore peu tolérante face aux questions de genre et de sexualité. Si aujourd’hui, ce sont des thèmes qui sont beaucoup plus abordés et de moins en moins tabous, à l’époque c’était une tout autre histoire. Très jeune, elle ressent un décalage avec le genre qui lui a été assigné à la naissance. Adolescente, elle commence à s’identifier comme femme et entame sa prise d'hormones. Elle s’épanouit ainsi, soutenue par un petit cercle d'amis qu'elle a rencontré pendant sa transition.
Celle qui rêve de devenir mannequin depuis son plus jeune âge parvient à infiltrer le milieu par hasard en passant un casting, et souhaite à tout prix garder son identité transgenre secrète. Le monde de la mode, bien que fascinant à bien des égards, a longtemps manqué de tolérance et d'inclusivité. Alors pour Tracey, garder ce secret était sûrement une façon de se protéger. Repérée par l'emblématique Irving Penn lors d'un shooting pour Vogue Italia, elle s’est rapidement fait un nom parmi les tops afro-américaines à la mode. Des traits fins, élégants et une silhouette élancée… Il n’en fallait pas plus pour qu’elle devienne rapidement une figure beauté importante, devenant par exemple le visage de la célèbre campagne de coloration pour cheveux “Born Beautiful” de Clairol. Le 512Dark Auburn, c’est Tracey qui le représente.
En 1980, alors que la carrière de Tracey Norman semble suivre son cours, sa transidentité est accidentellement révélée. Un assistant coiffure sur un shooting de mode pense la reconnaître. Même si Tracey est formelle sur le fait que non, ils ne se connaissent pas, l’assistant va murmurer quelques mots à l’oreille de la rédactrice en chef du magazine pour lequel elle posait : “Elle m’a demandé si tout allait bien. C’est là que j’ai su. La façon dont elle me regardait était différente, elle regardait la personne que l’assistant lui avait dit que j’étais”, explique Tracey au New York Magazine trente-cinq ans plus tard.
Une entrée mouvementée sur la scène drag
Alors, en manque de contrats de mannequinat - et un peu aussi en manque d’argent - elle fait sa première entrée dans un ballroom grâce à un ami. Ces soirées sont célèbres pour leurs compétitions de vogueing, de mode et de performances, faisant figure de véritable safe place pour la communauté LGBTQIA+, en particulier pour les personnes noires et latines. Bien qu'elle n'ait pas remporté les 1000€ promis au vainqueur cette nuit-là, elle a attiré l’attention de la House of Africa, qui était à la recherche d’un nouveau membre. C’est ainsi qu’elle est devenue "mother", un rôle clé dans la culture des ballrooms. En tant que mère, elle incarne un mentor pour les autres membres, apportant un soutien émotionnel et artistique.
Malgré son éviction, elle arrive pourtant à revenir sur le devant de la scène, mais il faudra attendre quelques années - voire des décennies - plus tard, et une bonne dose d’ouverture d’esprit en plus, pour qu’elle soit enfin acceptée telle qu’elle est. Son histoire, pourtant révolutionnaire, reste méconnue du grand public, masquée par une industrie qui peine à accepter l'ascension d'une femme trans noire au sommet.
Un retour dans le mannequinat synonyme de revanche
Au début des années 2010, Tracey Norman vient de passer le cap des soixante ans. Mais contrairement au schéma habituel dans l’industrie de la beauté, son âge n’a ici aucune importance. Grâce aux réseaux sociaux et aux actions des nombreuses associations LGBTQIA+, de nouvelles icônes trans font leur apparition, comme Laverne Cox et Janet Mock par exemple. L’occasion pour la pionnière d'être de nouveau en vue.
En 2015, Tracey Norman est célébrée dans un article pour le magazine New York Magazine. Le public découvre alors l’incroyable parcours de cette précurseuse de la diversité. Puis en 2016, Clairol, la marque qui l’avait initialement propulsée dans les années 1970, l’invite à nouveau à représenter leur campagne "Born Beautiful". Ce geste fort est plus qu’un symbole de reconnaissance de son apport à l’industrie. Elle devient alors une icône reconnue au sein de la communauté trans noire.
Un héritage fort et un modèle pour les plus jeunes générations
Aujourd’hui, Tracey "Africa" Norman est saluée comme une pionnière qui a ouvert la voie à une plus grande inclusion dans l’industrie de la mode. Les personnes trans, et plus particulièrement les personnes trans racisées, sont confrontées à une lutte constante pour faire entendre leur voix. Si l'on pense qu’aujourd’hui ces droits sont acquis, le combat ne cesse pour encore et toujours améliorer leur acceptation dans la société.
Pêche Di, fondatrice de la première agence transgenre Trans Models et elle-même l’une des mannequins trans les plus connues de New York, ne peut s’empêcher de considérer Tracey comme un modèle : "Chez Trans Models, quand on déprime, on se raconte de belles histoires de transition, et celle de Tracey en fait partie. Les gens l’aimaient tellement, jusqu’à ce qu’ils découvrent la vérité. C’est une histoire d’injustice et de discrimination, mais c’est aussi l’histoire de tout ce qu’une femme transgenre peut faire quand on lui donne la liberté de le faire", relaie Slate.
Tracey Norman a brisé des barrières avant même que le monde ne soit prêt à l'accepter. C’est pour cela que son parcours résonne tout particulièrement dans la lutte actuelle pour la diversité et l’égalité. En silence, elle a tracé un chemin que d’autres empruntent aujourd’hui avec fierté.