Pourquoi les Coréennes se révoltent contre cette célèbre université ?
Décidément, il ne se passe pas une semaine sans que l'on fasse référence à la Corée du Sud en ce qui concerne les luttes féministes. Depuis l'élection de Donald Trump, la montée en flèche de la popularité du 4B movement, qui prône l'arrêt pur et simple des relations avec les hommes, semble avoir braqué un projecteur sur les femmes coréennes bien décidées à changer l'ordre établi.
Écrit par Juliette Gour le
Depuis le 12 novembre dernier, un mouvement de contestation gronde dans l'enceinte de l'université de Dongduk, située au nord de la ville de Séoul. La raison de cette colère ? Les étudiantes se sont rendues compte que des hommes avaient été acceptés dans leur établissement, alors qu'il est théoriquement réservé aux femmes. Très attachées à la non-mixité, elles ont rapidement pris la décision de bloquer l'université et de manifester à l'extérieur pour montrer leur mécontentement.
Lee Song-yi, étudiante dans cette université et coprésidente du comité d'urgence, a été interrogée par le média Korea JoongAng Daily. Pour elle, les revendications des jeunes femmes sont assez simples : "Nous exigeons que l'école mette officiellement fin à ses discussions sur la transformation de l'université féminine Dongduk en une institution mixte, qu'elle mette en œuvre l'élection directe du président de l'université et qu'elle annonce d'autres projets pour les étudiants étrangers de premier cycle de sexe masculin."
Occupation et manifestation : la colère des étudiantes ne restera pas silencieuse
Mais d'où peut venir cette volonté de ne rester qu'entre femmes ? Pour la coprésidente, la réponse est pourtant évidente : "En dehors de l'école, il y a des problèmes tels que le féminicide de la station Sindang, l'incident du coup de pied circulaire de Busan ou encore l'homme qui a agressé une femme parce qu'elle avait les cheveux courts (...) Bien que l'université ne soit pas un havre parfait, nous nous y sentons libres et nous débarrasser d'un espace sûr où les femmes peuvent librement exprimer leurs opinions va à l'encontre des objectifs fondateurs de l'université"
Contrairement aux idées reçues, une lutte féministe existe bel et bienau pays du Matin calme même s'il est aujourd'hui difficile pour les Coréennes de le clamer haut et fort. Créée en 1950, l'université accueille depuis 74 ans des étudiantes dans 16 départements différents. En moyenne, l'établissement comptabilise 7500 étudiantes et 350 membres du corps enseignant. Au fil des années, l'université est devenue une référence en matière d’établissement réservé aux femmes et de nombreuses personnalités - idols ou mannequins.
Pourquoi les femmes veulent garder cet établissement non-mixte ? Parce que la Corée du Sud est un pays - certes safe - mais où une femme peut se faire agresser parce qu'elle "a l'air d'être féministe".
Pour exemple, le 15 novembre dernier, On Ji-goo s'est faite passer à tabac par un homme dans une supérette à cause d'une coupe de cheveux un peu trop courte, jugée être symbole d'appartenance au mouvement féministe. C'est certes choquant, mais pas surprenant, surtout lorsque l'on sait que le président actuel Yoon Suk-yeol a mené sa campagne sur la diabolisation des féministes, les jugeant responsables de tous les maux de la société coréenne, dont la chute démographique.
Initialement, la fondation des différentes universités de femmes en Corée était motivée par l'envie de "construire une nation par l'éducation des femmes", mais les envies semblent avoir changé depuis l'arrivée d'un président conservateur au pouvoir.
L'université réservée aux femmes, une safe place
Bien loin de l'image fantasmée des K-dramas et de la K-pop, la Corée du Sud est aussi une société violente, particulièrement envers les femmes qui sont soumises à des standards de beauté très exigeants et systématiquement discriminées dans le cadre du travail.
Pourtant, dans ce pays où il est parfois pesant d'être née avec deux chromosomes X, il existe (heureusement) des safes places. Le pays étant très porté sur un enseignement séparé, les femmes ont la chance d'avoir accès à des universités 100% féminines, où les hommes ne sont pas admis... Enfin, en théorie. Parce qu'avec le déclin de la population et la baisse des inscriptions, les universités féminines se posent la question d'autoriser les hommes dans les promotions, mais les étudiantes ne sont pas du tout du même avis.
C'est pour cette raison que l'objectif - caché - des universités d'accueillir des hommes dans les promotions à venir a déclenché une forte vague contestataire : parce que les femmes veulent garder un espace où elles se sentent chez elles, sans être comparées à des hommes. Elles auront bien assez le temps de souffrir de la comparaison dans leur carrière.
En réponse, elles ont décidé de se mobiliser, de bloquer le campus, de tagguer les murs, retourner les tables et, symboliquement, de déposer les vestes de leur académie - symbole de la vie estudiantine en Corée - devant l'entrée de l'université, pour créer une image forte autour de cette mobilisation
Ce n'est pas la première fois que les étudiantes haussent le ton
De nombreuses étudiantes d'autres universités réservées aux femmes se sont jointes à leurs consœurs de Dongduk pour les manifestations. Un bel exemple de sororité.
Ce n'est d'ailleurs par la première fois que l'administration d'une université féminine montre l'envie d'ouvrir les inscriptions aux hommes : c'était déjà arrivé en 2015 à Duksung et à Sungshin en 2018.
À chaque fois, les étudiantes avaient appris indirectement que des hommes allaient rejoindre l'établissement. Ce qui est donc reproché aux administrations des universités, c'est de ne pas évoquer clairement leurs envies et de le faire dans le dos des étudiantes. Une stratégie qui s'avère finalement contreproductive, car la colère des jeunes femmes ne se fait que plus importante (et à juste titre).
Ce qu'illustre la situation, c'est une fois de plus un ras-le-bol des femmes face au patriarcat et aux réponses inadaptées qu'apporte le gouvernement.
Les étudiantes de Dongduk ont été claires : elles ne débloqueront pas l'université tant que l'administration ne clarifira pas la situation sur l'admission ou non des hommes au sein de l'établissement et à quelques semaines de la fin de l'année universitaire, c'est une grosse écharde dans le pied pour un pays où les études et la renommée universitaire sont essentielles.