“I love Ozempic” : l’apologie de la maigreur revient-elle à la mode ?
Un slogan qui va trop loin ? Une marque de mode allemande est accusée de faire la promotion de la maigreur après avoir fait défiler un t-shirt choc. L’ironie semble être ici employée comme un outil de mode mais la réception divise, on se demande si cette plaisanterie est un fashion faux pas, ou pas.
Écrit par Téa Antonietti le
À la Fashion week de Berlin, alors que les défilés se hissent sous le signe de la liberté, de la créativité et de l’inclusivité, on voit s’élancer des silhouettes avant-gardistes qui ont des choses à raconter. Dans le cerveau provocateur de Namilia, une griffe de prêt-à-porter allemande aux designs audacieux issus d’influences BDSM, le sarcasme est un outil fashion.
C’est de ce sens aigu de l’ironie que la marque a imaginé le fil rouge de sa collection Printemps-Été 2025, Good Girl Gone Bad. Un écho à l’album culte de Rihanna qui n’est pas anodin, puisque les pièces s’inspirent de l’archétype de la star hollywoodienne post-années 2000, construite autour du mythe de la célébrité toxique, décadente à souhait. Parmi les silhouettes aux accents grunge, entre débauche et paillettes, un top ne passe pas inaperçu.
Débardeur à slogan inspiré de cette tendance Y2k portée par les it-girls de l’époque telles que Paris Hilton et Britney Spears, la pièce indique I love Ozempic. Une déclaration choc qui ne manque pas d’enflammer Internet, furieux de cette mauvaise blague qui fait la promotion de cet antidiabétique utilisé frauduleusement pour maigrir. Zoom sur une tendance malveillante issue des réseaux sociaux qui s’est retrouvée moquée sur un débardeur à la Fashion week.
Le débardeur à slogan qui dénonce avec style et provocation
Le défilé Namilia voit s’élancer des silhouettes ornées de faux tatouages rétro imprimés en 3D, articulant des combinaisons hybrides audacieuses à souhait, à base de cœurs perforés, figures pin-up dessinées façon Betty Boop, têtes de mort et autres roses à ronces dangereuses. Pourtant, cette imagerie qu’on qualifierait de Rockabilly, mêlant esthétisme fifties et motifs rebelles, ne tranche pas autant que certains slogans. Un premier gilet zippé en velours qui aurait plu à Paris Hilton inscrit Fashion Junky, orné de strass, évidemment.
Les mannequins défilent comme des it-girls en lendemain de soirée, avec une paire de lunettes de soleil épaisses et une casquette pour affronter les flashs enflammés des paparazzi. Ce culte de la débauche, qui s’amuse en quelques lettres de l’addiction à la drogue, enchaîne les slogans qui grincent. On note Too Pretty For Rehab, “trop belle pour la désintox”, écrit dans une jolie police calligraphique, et le très controversé I love Ozempic, qui met le doigt sur un phénomène sociétal grave.
Un sarcasme fashion qui se moque d’une tendance malveillante déployée sur TikTok
La griffe allemande s’empare avec audace de la tendance mignonne et simplette du t-shirt I love suivi d’une ville, de Paris à New-York, déployé sur les outfits de filles trendy et autres épingles Pinterest. Namilia décline ce slogan candide et remplace le nom de capitale par celui d’Ozempic, un médicament destiné aux diabétiques de stade 2. Sur TikTok, des utilisatrices revendiquent sa faculté miraculeuse pour maigrir à vitesse éclair.
Sa consommation accélèrerait donc le processus de perte de poids, nerf de la guerre des stars hollywoodiennes qui cherchent à maintenir un physique athlétique impeccable, si ce n’est irréel. La marque s’appuie sur ces valeurs superficielles, et cherche alors à enjoliver cette utilisation frauduleuse véritablement scandaleuse avec l'innocence d’un t-shirt adorable. Une ironie fashion qui emploie la provocation pour déployer une vision sarcastique de la société.
Le hashtag Ozempic cumule des millions de vues sur la plateforme
Puisque tout est tendance, pourquoi ne pas mettre le culte de la maigreur au goût du jour ? Aussi dangereux et superficiel que cela puisse paraître, pour beaucoup d’internautes, ce n’est pas une si mauvaise idée. Sur la sphère TikTok, le phénomène affole depuis que le nom de célébrités emblématiques des hautes sphères a été associé avec le médicament. C’est notamment le cas de Kylie Jenner, qui a longuement été scrutée quant à sa perte de poids particulière, ne laissant apparaître aucune graisse sur son corps, avec un ventre extrêmement plat mais une poitrine et des fesses parfaitement pulpeuses. Son ex, le rappeur Travis Scott, a davantage alimenté les spéculations autour de la business woman sur un feat où il affirme : “She doin’ Ozempic, tryna be different”, plus explicite que jamais.
Sur TikTok, le hashtag cumule plus de90k publications, dont 15,9k du #ozempicjourney destinées aux témoignages d’utilisateurs qui tentent de s’en injecter, dédramatisant son usage détourné. Pourtant, il est crucial de rappeler que les effets secondaires sont multiples, de la nausée aux vomissements, en passant par la perte de sensation de plaisir mais aussi la dépression et les pensées suicidaires. Un phénomène qui affirme qu’il s’agit d’une utilisation réservée aux patients atteints de diabète, prescrite uniquement par leur médecin. Mais face à cette dite “solution miracle” le danger autour de sa consommation détournée est comme occulté et de nombreuses ordonnances sont falsifiées en France et trafiquées aux Etats-Unis ou en Angleterre, déclenchant même des pénuries d’Ozempic pour ceux qui en ont véritablement besoin.
Pourquoi dans la mode, anorexique rime avec chic ?
Ces dernières années, le body positivisme semble régner dans l’industrie avec une évolution des mentalités. On pense à la machine Victoria's Secret, qui a longtemps promu un idéal de maigreur en ne choisissant que des mannequins minces pour sa lingerie, qui met maintenant en avant des modèles de toutes formes corporelles. Mais cette inclusivité est peut-être de courte durée, lorsque l’on observe la plupart des grands défilés de Maisons de luxe, mis à part une à deux silhouettes rondes, le reste répond à une carrure fine, traditionnelle du secteur.
Pourtant, il semblerait que l’esthétique de party girl débauchée qui connaît des troubles de l’alimentation et des addictions à des drogues et autres substances toxiques détient une aura désirable. Le phénomène Kate Moss des années 90, par exemple, façon ange déchu qui mène un train de vie chaotique mais continue de fasciner pour sa silhouette de brindille, revient en force dans les inspirations mode des fashions. Sur TikTok, des extraits de reportages journalistiques la qualifiant de Kate Mess, son surnom de débauche, sont remixés sur fond techno et utilisés à des fins de trends pour se la jouer star girl d’Hollywood, stylée malgré elle.
En janvier dernier, Balenciaga caricaturait les célébrités déconnectées d’Hollywood
Dans la mode, ce phénomène fashion junky inspire et sert de vision satirique à caricaturer à travers une collection. Telle était l’ambition de Demna Gvasalia, directeur artistique de la Maison Balenciaga, et de son défilé en janvier dernier, sur une route de Beverly Hills, les palmiers et les hauteurs d’Hollywood en toile de fond.
Au fur et à mesure du défilé, on admirait des silhouettes dévergondées, à base de vêtements oversize et de lunettes de soleil protectrices, non des rayons mais des flashs de paparazzi. Soit une interprétation des stars réfugiées dans leurs villas sécurisées, prêtes à s’habiller d’un tas de vêtements dépourvus de dignité pour échapper à la pression toxique de la célébrité. Derrière les strass, les longs ongles, les talons et les paillettes, se cache l’angoisse d’un mode de vie hors de contrôle.
Une satire qui n’a finalement pas forcément fait rire
Le point commun entre Balenciaga et Namilia ? Les deux griffes en marge d’une mode audacieuse et provocatrice usent d’un message scandaleux et ironique pour traduire une réalité alarmante. Sur les réseaux sociaux, le débardeur à slogan I love Ozempic n’a pas eu très bonne réception, remettant en cause la gravité du sujet, en appuyant le fait que cette “mauvaise blague” ne risque d’encourager les utilisateurs détournant l’usage médicament à en dédiaboliser les dangers.
D’autres, avec plus de recul, ont souligné l’intelligence du geste, qui saisit avec humour cette chasse à la réaction. Soit un scandale afin d’obtenir une potentielle ouverture du débat, en ridiculisant les utilisateurs d’Ozempic aliénés par un désir de ressembler à leurs célébrités préférées. Une réflexion que Namilia a d’ailleurs clos à l’aide d’un autre slogan qui cette fois indiquait : Fame Kills. À méditer.
Rire de la condition humaine et ses dérives serait-il plus sage que de tenter d’y remédier ? Une chose est sûre, la mode a toujours su traduire les mœurs avec ou sans prise de conscience, mais toujours en conséquence.
Découvrez plus de contenus similaires dans la rubrique Société