Plus de 15 000 mineurs de l’aide sociale à l’enfance seraient victimes de prostitution
Censés être protégés par l’État de par leur statut, ils seraient pourtant plus de 15 000 en France à être victime de prostitution. Aujourd’hui le 25 septembre, le secteur de la protection de l’enfance appelle à la mobilisation nationale. Il s’agit d’une urgence.
Écrit par Alice Legrand le
Comme le rappelle le gouvernement sur son site internet, "la prostitution des personnes mineures (moins de 18 ans) est interdite en France (article 13 de la loi relative à l’autorité parentale du 4 mars 2022)". Pourtant, dans une institution mise en place par ce même gouvernement, appelée l’aide sociale à l’enfance, des jeunes filles encore mineures en sont victimes.
Dans une enquête menée par Le Parisien, un éducateur témoigne. Il a sans cesse peur qu'une nouvelle jeune fille de son foyer tombe dans ce piège. Alors, il surveille les fréquentations, s’entretient régulièrement avec les jeunes filles et met toute son énergie pour éviter le drame. Mais parfois, cela ne suffit pas.
La façon d’agir des proxénètes est simple mais particulièrement efficace : ces hommes abordent des jeunes femmes vulnérables - ce sont majoritairement les filles que cela concerne - via les réseaux sociaux, puis les exploitent sur des sites d’escorting en ligne. Parfois, il s’agit de leur "petit ami" qui abuse d’elles. Parfois, c’est un parfait inconnu prédateur en ligne.
"Des proxénètes rodent devant les foyers"
La fragilité de ces jeunes filles, dont le passé est chargé d’histoire et qui n’ont parfois plus aucun lien auquel se rattacher, voient en la prostitution une façon d’exister. Parfois maltraitées, parfois orphelines, parfois abandonnées… Sans famille biologique, leur famille c’est le foyer. Et sans encadrement suffisant, ni attache émotionnelle, les dérives arrivent vite. Quelques messages envoyés, quelques promesses en l’air, un sentiment de sécurité… Et ces jeunes se retrouvent prises au piège.
L’éducateur interrogé par Le Parisien explique que lorsqu’un doute apparaît, et qu’il sent que l’une des filles est sur le point de se faire embarquer dans ces horribles pratiques, il faut parfois prendre des décisions radicales. Comme les envoyer quelque temps dans un autre foyer. Même si la prostitution en ligne, ça peut se faire de n’importe où, et dans le silence le plus total. C’est ça qui est le plus inquiétant.
Christine, chef de service du foyer de Mulhouse, est formelle : "Ce sont des gamines multi-vulnérables. Toutes ou presque ont déjà été abusées sexuellement. Les hommes le savent. Il faut voir le nombre de voitures qui stationnent autour du foyer". L’horreur est à la vue de tous, mais personne ne semble pouvoir ou vouloir agir.
"Comme si j’étais morte" : un documentaire sorti en mars dernier mettait déjà la lumière sur ce phénomène
Tourné dans le foyer de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de Mulhouse, "Comme si j’étais morte", réalisé par Benjamin Montel, met en scène le quotidien de trois jeunes filles qui se prostituent et d’une équipe d'éducateurs qui tente coûte que coûte de les sortir de là. Disponible sur France TV depuis le 13 mars, il a réalisé un travail - absolument nécessaire - d’information. Pourtant, depuis, rien ne semble avoir changé au sein des foyers d’accueil.
Car pour gérer ces cas, tous les éducateurs ne sont pas autant au fait des dangers. Et beaucoup ne mettent pas autant d’énergie que l'éducateur interrogé par Le Parisien pour traquer les prédateurs sexuels. Alors forcément, faute de moyens donnés par l’État pour faire de la prévention, des formations et engager davantage d’éducateurs investis par l’envie de protéger les jeunes filles, ces dernières se retrouvent livrées à elles-mêmes.
"Comme si j’étais morte" a un nom très équivoque qui reflète bien la dimension de "suicide social" que représente la prostitution pour ces jeunes filles perdues.
L’urgence d’agir pour éviter que davantage de mineures soient endoctrinées
Le secteur de la protection de l’enfance est en crise. Absolument impuissant devant ce phénomène, il appelle aujourd’hui mercredi 25 septembre à la mobilisation nationale. Agir est urgent, afin d’éviter que ce phénomène ne se propage davantage, puisque rappelons-le, il toucherait déjà au moins 15 000 mineurs. En cinq ans, comme le précise ASH, le site du travail social, la prostitution des mineurs a augmenté de 68% et l’âge des victimes ne cesse de rajeunir. Si la moyenne reste autour des 15-17 ans, de plus en plus de jeunes filles commencent - très - jeunes, à 12 ou 13 ans.
Si la société a tendance à préférer fermer les yeux sur ces pratiques, il est important de rappeler qu’elles sont très fréquentes et se déroulent dans l'indifférence la plus totale. Peut-être parce qu’elles concernent des filles sans famille, parfois à problème, parfois totalement paumées, et que le gouvernement a sûrement d’autres priorités… Pourtant, il faut agir, et vite.
Le but de la mobilisation du 25 septembre ? Dénoncer la mauvaise prise en charge de ces mineurs, mais aussi réclamer des moyens supplémentaires pour les aider et stopper ces pratiques.