En France, le bien-être mental devient un luxe
Alors que la société multiplie ses injonctions au bien-être, 1 Français sur 3 est en détresse psychologique.
Écrit par Camille Cortot le
On pensait que le spleen n'était plus à la mode, pourtant, plus de la moitié des jeunes français sont en détresse psychologique. C'est paradoxal, dans une société qui pousse au bien-être, tout en ayant de plus en plus de problèmes de santé mentale.
Insomnies, crises d’angoisse, automutilation… Les chiffres sont alarmants : 54 % des moins de 35 ans en détresse psychologique, selon une étude réalisée par Ipsos pour AXA Prévention. Les jeunes, tout comme les femmes et les parents, sont en première ligne, épuisés par les injonctions au bonheur, la précarité croissante et une éco-anxiété qui monte en flèche.
Michel Barnier, récemment nommé Premier Ministre, a appelé à faire de la santé mentale la "grande cause nationale" de 2025. Il serait temps, dans un pays où parler de santé mentale n’est toujours pas aussi simple que de prêcher la quête du bonheur.
Des chiffres inquiétants
Cette réalité n’est pas nouvelle, mais elle s’est aggravée ces dernières années, particulièrement depuis la crise sanitaire du Covid : 38% des Français déclarent toujours subir des impacts psychologiques dus à la pandémie.
Dans la jeunesse, le constat est sans appel : parmi les moins de 25 ans, une personne sur trois admet s’être automutilé à cause de sa détresse psychologique. Il ne s’agit plus simplement de chiffres, mais d’une crise sociétale qui, au quotidien, touche des millions de jeunes.
Avec ces troubles psychologiques, les conséquences se ressentent au quotidien : près de 37 % des français déclarent souffrir de problèmes du sommeil - un symptôme souvent lié à l’anxiété et au stress. Beaucoup se disent avoir été malheureux ou déprimés récemment, et rapportent également une perte de confiance en eux. Ces datas reflètent un mal-être généralisé qui semble s’installer durablement.
Un problème multifactoriel
Les causes de cette souffrance mentale sont multiples. La pandémie a bouleversé les équilibres, mais d’autres éléments, comme l’éco-anxiété et la précarité, alimentent ce sentiment de perte de contrôle.
Entre les guerres qui font rage, un contexte économique catastrophique et le changement climatique qui se fait ressentir, les français sont de plus en plus angoissés. 70 % d’entre eux admettent que le climat politique actuel participe à leur épuisement mental, une réalité qui pousse près de la moitié d’entre eux à prendre leurs distances avec l’actualité pour se préserver. Face à un climat anxiogène, beaucoup se retrouvent piégés dans une spirale de stress et de solitude avec 1 français sur 4 qui se sent isolé.
Le spleen n’est plus à la mode, et pourtant
Alors que la société va de plus en plus mal, elle est paradoxalement obsédée par le bien-être. Mais ce sont justement ces injonctions à l’épanouissement qui peuvent vite devenir contre-productives.
Une étude menée par la marque Lululemon révèle que la quête du bien-être peut parfois augmenter le mal-être. Alors que 89 % des personnes interrogées affirment faire des efforts pour améliorer leur bien-être, une large majorité déclare que la pression sociale les incitant à "se sentir bien" devient insupportable.
Cette injonction au bien-être crée un cercle vicieux : en s’imposant des objectifs irréalistes, beaucoup finissent par se sentir encore plus mal et tomber dans ce qu’on peut appeler un " burn-out du bien-être ". " Les injonctions à nous sentir mieux nous poussent bien souvent à nous torturer l’esprit et à nous focaliser sur ce qui ne va pas. " explique Muralia Daoraiswamy, professeur à la faculté de médecine l’université de Duke.
Le problème réside dans la pression d'atteindre un idéal inatteignable, alimenté par les réseaux sociaux et les comparaisons constantes avec les autres. Ce phénomène est particulièrement exacerbé chez les jeunes, plus connectés, et donc plus exposés à ces standards irréalistes de bonheur et de réussite.
Les solutions qui s’imposent
Si la situation semble très alarmante, des solutions existent pour essayer d’alléger cette pression. De plus en plus, les experts recommandent des stratégies simples mais efficaces : " Je préconise de se fixer des objectifs progressifs et réalistes qui transforment la quête du bien-être en source de plaisir plutôt que de stress " recommande Muralia Daoraiswamy.
La méditation de pleine conscience, par exemple, permet une amélioration notable du bien-être chez ceux qui la pratiquent régulièrement. De même, limiter le temps passé sur les réseaux sociaux et se reconnecter à la nature simplement en se baladant, sont des moyens concrets pour améliorer sa santé mentale.
L’activité physique joue également un rôle clé. Les bienfaits du sport sur la santé mentale ne sont plus à prouver : ceux qui bougent régulièrement tout au long de la journée constatent une amélioration de 16 % de leur bien-être. Mais au-delà de l’exercice individuel, il est crucial de renforcer les liens sociaux. Le fait de pratiquer une activité en groupe en s’inscrivant à des cours collectifs ou simplement de passer du temps avec ses proches, peut significativement améliorer l’état mental de chacun.
Un tabou persistant
Malgré l’urgence de la situation, la santé mentale reste un sujet largement tabou en France. Selon l’étude d’AXA Prévention, 91 % des français affirment que leur santé mentale est "bonne", alors même que 36 % d’entre eux souffrent de troubles psychologiques. Ce déni collectif empêche souvent une prise de conscience et des actions adaptées. Nombreux sont ceux qui craignent encore d’en parler, notamment au travail, de peur d’être stigmatisés ou marginalisés.
Le chemin vers une meilleure santé mentale passe avant tout par la libération de la parole. Il est essentiel de déconstruire les stéréotypes et de normaliser les discussions autour de ces problèmes. Pour cela, les campagnes de sensibilisation doivent se multiplier, non seulement pour encourager les individus à chercher de l’aide, mais aussi pour éduquer la société sur la réalité des troubles mentaux.
Malgré les promesses répétées du gouvernement de faire de la santé mentale une priorité, la réalité montre que la France est encore loin du compte. Ces mesures, bien que nécessaires, ne suffisent pas à calmer la crise grandissante. Le soutien psychologique à long terme reste souvent inaccessible pour beaucoup, et le pays doit intensifier ses efforts pour répondre à l’ampleur du problème, particulièrement chez la jeunesse.