Bold Beauties #3 : Nicky Doll ‘Être différent, ce n’est pas du tout une mauvaise chose’

Qu'est-ce que l'on ressent lorsque l'on se transforme pour la première fois ? L'univers des Drag Queens fascine autant qu'il intrigue, mais pour beaucoup la transformation est un moyen de se rencontrer soi-même. Ça a été le cas pour Nicky Doll et elle a accepté de nous en parler dans un entretien très intime.

Écrit par Juliette Gour le

Elles sont là, sur le devant de la scène.

Des milliers de spectateurs les regardent avec de grands yeux ouverts, fascinés et admiratifs. Tout le monde les connaît. Tout le monde les trouve belles. 

Mais elles, se trouvent-elles belles ? 

Lorsque le rideau de l'intimité se ferme, on y découvre dans les coulisses des créatures divines qui, au-delà de leur beauté, nous inspirent

Dans les méandres de ce qu'on appelle communément la "confiance en soi", nous avons voulu les interroger sur leur rapport à la beauté. Audacieuses, belles et puissantes, elles se livrent à une véritable introspection.

Et si s'aimer soi-même est un parcours semé d'embûches, la victoire semble y avoir une place certaine.

Pour ce troisième épisode de Bold Beauties, nous avons eu la chance de rencontrer Nicky Doll, Queen parmi les Queen, qui, après sa participation à la cultissime émission de Ru Paul Drag Race, a pris la tête de la version Française, offrant au passage une vraie scène d'expression à toutes les Drag Queen de France et de Navarre. De l'acceptation de soi à la construction d'un alter ego qui pourrait soulever des montagnes, Nicky s'est entretenue avec nous pour nous livrer sa vision de la beauté

Enjoy,

Les Éclaireuses

"Je n'avais pas besoin de ressembler à la poupée Ken, je pouvais aussi ressembler à Barbie"

Difficile de se construire dans une société où le genre est encore prédominant. Comment trouver un équilibre lorsque l'on vous répète à longueur de journée que vous ressemblez à une femme ? Cette réalité, ça a été celle de Nicky Doll pendant toute son adolescence, période clé de la vie où l'on commence à se construire. Mais si à l'extérieur Karl (l'homme qui se cache sous les traits de Nicky) essayait de rentrer dans un moule, dans l'intimité de sa maison l'ado de 15 ans commençait déjà à entrevoir le pouvoir que peut avoir une transformation. C'est en fouillant dans le placard de sa maman que Karl a commencé à ressentir qu'il pouvait être quelqu'un d'autre : une personne qui ne respecte pas forcément les codes, une personne qui ose, une personne "punk, qui va à l'encontre des règles". 

Au fil de ses transformations, un chemin vers la libération s'est petit à petit dessiné. Toujours dans l'intimité de ce placard, Karl Sanchez a compris qu'on n'était pas obligé de se plier à ce à quoi la société veut que l'on ressemble : on peut être à la fois Ken et Barbie à partir du moment où on en a envie. La découverte de l'univers Drag n'a été qu'une motivation de plus pour Karl de vouloir s'affranchir de toutes ces conventions. 

"La première fois que j'ai vu une Drag Queen (...) je me suis rendu compte que cette personne-là c'était vraiment la personnification même d'un doigt d'honneur à la société. Et (...) si je n'avais pas encore trouvé exactement la dynamique qui me correspondait pour m'intégrer, c'est qu'il fallait que je continue à chercher parce que j'avais la preuve juste en face de moi."

En poussant la porte de l'univers feutré des Drags, celui qui allait bientôt donner naissance à Nicky a découvert un monde où tout était possible et, surtout, où l'acceptation est reine.

"Pour moi, Nicky c'est l'extension de Karl"

Pour certains, cela peut paraître étrange que la transformation aide à la rencontre de soi. Pourtant, pour Karl, Nicky a été le moyen de détruire au bulldozer toutes les remarques que les autres ont fait sur son physique. Si à l'école ses camarades de classe se moquaient de lui parce qu'ils considéraient ses traits comme trop féminins, Karl, lui, a décidé de jouer sur cette androgynie naturelle pour en faire une force.

Nicky Doll, c'est sa superhéroïne, celle qui l'aide à oser, à s'affranchir de toutes ces remarques déplacées qu'il a eues à encaisser pendant des années. C'est aussi celle qui lui a permis de briller : aux USA, on la connaît comme la French Queen, celle qui a donné une leçon de mode aux Américaines dans la saison 12 de Drag Race. Pour autant, Nicky Doll a la voix de Karl, le caractère de Karl. C'est une magnifique armure (divine) en talons hauts qui l'aide, au quotidien, à soulever des montagnes et à défiler sur les catwalks du monde entier.

"Être différent, ce n'est pas du tout une mauvaise chose"

C'est un fait, la différence, la société n'aime pas ça... Pourtant, ce que le monde entier à l'air de montrer du doigt, des petits esprits avisés en font une force. Comme l'évoque très justement Nicky Doll dans cet entretien, on nous apprend dès l'âge tendre l'histoire du vilain petit canard qui n'est pas accepté par les autres parce qu'il n'est pas comme tout le monde. Spoiler alert : il est tout à fait possible d'être 'Fabulous' en étant différent. Nicky et toutes ses sœurs de Drag le prouvent à chaque nouvel épisode de Drag Race France.

Étrangement, on nous pousse toujours plus à essayer d'entrer dans un moule, alors que le monde est fait d'aspérités et d'irrégularités... Un monde où tout le monde serait identique serait bien maussade. Et c'est peut-être pour ça que les divines créatures comme Nicky Doll (Ru Paul et les autres), brillent de mille feux : parce qu'elles ont compris qu'être différentes, ce n'était pas quelque chose de mal, au contraire, c'est bien souvent une porte vers la nouveauté et vers l'exploration de soi.

"La beauté, aujourd'hui, c'est surtout de l'intérieur vers l'extérieur"

C'est peut-être paradoxal d'entendre une reine de beauté dire que ce qui compte, c'est ce que l'on a l'intérieur. Pourtant, c'est cruellement juste. Il n'y a qu'à voir aujourd'hui à quel point les notions de confiance et de bien-être sont importantes, c'est parce que nous avons besoin de nous aider de l'intérieur. Et il n'y a qu'en s'aimant et en s'écoutant que l'on deviendra la meilleure version de soi-même. 

Cette beauty thérapie a tellement bien réussi à Nicky qu'on aurait tort de croire que ce ne sont que des paroles en l'air. Aujourd'hui, il est essentiel de trouver son chemin vers la confiance pour construire une beauté de l'âme qui est encore plus essentielle (et fondée) que ce qu'il y a à l'extérieur. 

"Si vous vous trouvez beau et que les autres personnes froncent un peu du sourcil, ça reste leur émotion et leur problème, pas le vôtre."

"Le patriarcat, il a été très difficile pour la femme, mais il est aussi très stressant pour l'homme"

Si en occident, un homme qui se maquille est encore considéré comme une hérésie par les esprits les plus étriqués, il est pourtant essentiel de comprendre que cette idée selon laquelle il y a des choses réservées aux femmes et d'autres aux hommes dans le domaine de la beauté découle directement du patriarcat.

"L'homme est bien plus fluide qu'on ne l'imagine" 

Un simple tour sur les réseaux sociaux permet de prendre conscience de toute l'étendue de cette réalité : les rappeurs américains se pavanent avec des ongles vernis, les contours sont devenus une obsession capillaire pour un grand nombre d'hommes, des marques de cosmétique à destination des hommes (comme Horace) sont de plus en plus populaires... Tout ça, c'est grâce à l'affranchissement des codes patriarcaux. Difficile de ne pas imaginer que cette lente libération n'est pas directement liée aux nombreux mouvements sur les réseaux sociaux. Voir des hommes qui se maquillent, voir des Drag Queens être libres et divines, se questionner sur la notion des différentes beautés (qui restent toujours très subjectives)... Tous ces mouvements font évoluer les choses dans le bon sens... Et ça fait un bien fou, tant aux hommes qu'aux femmes. 

"Il y a beaucoup plus de couleurs dans la palette de la vie (...). C'est notre devoir, dans la société, de laisser une place à tout le monde, majorité ou minorité. "

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